Padmasambhava, une figure énigmatique (compte-rendu)

Jeudi 20 janvier

Padmasambhava, Kurto Lhuntsi dzong, Bhoutan


Padmasambhava, Kurto Lhuntsi dzong,
Bhoutan

Guru Rimpoche. Bhoutan contemporain

Guru Rimpoche. Bhoutan contemporain

Padmasambhava et 1000 bouddhas


Padmasambhava et 1000 bouddhas

Autour de l’exposition « Au Pays du Dragon » au musée Guimet

Anne-Marie Blondeau, Directeur d’études émérite à l’EPHE

Lorsqu’on visitait l’exposition consacrée au Bhoutan en février 2010, on ne pouvait qu’être frappé par l’abondance des représentations de Padmasambhava, Guru Rinpoche, « le Précieux Guru ».

Pour tous les fidèles qui adhèrent au bouddhisme tibétain, que ce soit au Tibet même, au Ladakh, au Népal, au Sikkim, au Bhoutan et jusqu’en Mongolie, Padmasambhava jouit d’une dévotion considérable. En attestent ses représentations iconographiques sous ses multiples formes, les rituels qui le célèbrent ou dont l’origine lui est attribuée, les lieux saints où il a médité ou caché des « textes-trésors », l’abondante littérature hagiographique qui relate ses exploits. Pour tous, il ne fait aucun doute que c’est un personnage historique, un mahāsiddha, un « grand réalisé », un tantriste aux grands pouvoirs, originaire de l’Oddiyāna (Swat actuel). On dit que, invité par l’empereur tibétain Khri srong lde btsan au milieu du 8e siècle, il introduisit et diffusa le bouddhisme tantrique au Tibet et contribua à la fondation du premier monastère, Samye, en soumettant les démons qui empêchaient sa construction. Pour les Bhoutanais, le saint est venu dans leur pays avant même de se rendre au Tibet, afin de convertir le roi de Chakhar, au Bumthang. Il y a laissé l’empreinte de son corps au temple de sKu rjes (« Trace du corps »), il a médité en divers lieux (dont la fameuse « Tanière du Tigre », sTag tshang) et caché de nombreux « textes-trésors », destinés à être remis au jour en temps opportun par des réincarnations de ses disciples, selon les prophéties qui les identifient.

Pourtant, les preuves historiques de sa présence au Tibet sont des plus minces et certains historiens tibétains contestent la réalité des hauts-faits qui lui sont attribués et la durée même de son séjour au Tibet. L’examen des documents tibétains les plus anciens qui nous sont parvenus (manuscrits de Dunhuang), révèlent sa présence discrète au Tibet comme un tantriste réputé, maître des enseignements du Poignard rituel (phur bu, skt kilāya) qu’il a transmis à ses disciples tibétains. Mais ces textes peuvent être datés du Xe siècle seulement et certains contiennent déjà des éléments de la Vie légendaire qui va peu à peu se développer autour du personnage. L’une des clés de cette ampliation de la légende est certainement le conflit qui oppose à partir du Xe siècle les « anciens » bouddhistes aux « nouveaux » qui ont renoué les liens avec le monde indien et retraduisent ou rejettent les traductions de textes tantriques effectuées à l’époque impériale. Les « Anciens » maintiennent l’authenticité de leur tradition et la validité de sa transmission qu’ils rattachent pour une grande part à Padmasambhava dont ils font leur figure fondatrice.

À partir du XIIe siècle, il est possible de retracer les étapes du développement de cette vie légendaire et les moyens mis en Å“uvre, notamment par des emprunts à la vie du Bouddha et au mythe d’Avalokiteshvara. Finalement, Padmasambhava est « divinisé » par ses adeptes et considéré comme le « deuxième bouddha » de notre ère, l’essence de tous les bouddhas, de tous les lamas, de toutes les divinités protectrices. Mais ce qui demeure énigmatique est de savoir pourquoi et comment ce tantriste parmi tant d’autres est devenu le maître incontesté de la tradition des « Anciens » et le Guru vénéré de tous les bouddhistes d’obédience tibétaine.